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le paon d'Hennebont

2 juillet 2007

Le vieux soldat nippon

J'ai souvent rêvé d'aller sur le Machu pichu, j'ai souvent joué à être celui qui découvrait cette cité oubliée. Les ruines me fascinent, m'attirent. Je crois que je le dois encore une fois à mon enfance hennebontaise. J'en ai tant exploré.

Il y avait au coeur d'Hennebont, là où le Blavet décrit une large boucle, les ruines étranges de la Poterie. Aujourd'hui, ce site n'est plus qu'un terrain vague, un champs de graviers et d'herbes folles, qui à l'occasion, sert de parking. Des remparts abandonnés, une tour branlante rappellent que jadis, le fleuve était sauvage et venait lécher le mur protecteur de la ville close.

Un jour triste, il y a dix ans, quinze ans peut-être, vit les bulldozer s'acharner, se livrer à leur oeuvre destructrice, et à tout jamais, la Poterie devint ce vague terrain.

Heureusement, il y a les souvenirs d'un garçon pour que survivent ces vestiges.

Il y avait donc, au coeur d'Hennebont, les ruines de la Poterie. Elles semblaient tout droit sorties de l'imagination d'un écrivain ou d'un créateur de jeu vidéo. Presqu'un décor.

C'était une superposition de bâtiments d'époques différentes, qui des fondations médiévales jusqu'à la structure finale -une fabrique de poterie-, a fini abandonnée, dans les flammes d'un incendie. A partir de ce moment, la Poterie est devenu un terrain de jeu, interdit, dangereux, secret, terriblement attirant.

On y pénétrait, ni vu ni connu, par une fenêtre du rez-de-chaussée qui a été conservée. Désormais, elle est murée et sert d'enceinte au terrain. Quand j'y passe aujourd'hui, je prend ça pour moi, avec ironie.

L'aventure pouvait commencer.

Il y avait bien des dangers.                                                                                                    D'abord, le lieu n'était pas toujours désert; des clochards et des squatteurs y élisaient résidence, c'était leur domicile fixe. Même en bande, nous en avions peur. Quand j'y repense, je me dis qu'ils devaient s'amuser à nous effrayer, avec leur coup dans le nez, mais si jamais nous tombions dessus, ils n'avaient qu'à brailler pour nous faire détaler. On avait tous en tête l'image de Tom Sawyer et de son ami Finn surprenant Jo l'Indien cachant son trésor.

Ensuite, la Poterie tombant en ruines, certaines parties de sa structure, notamment en bois, se révélaient dangereuses. Le grand escalier en colimaçon, qui tenait par je ne sais quel miracle, et surtout, le plancher du premier étage, au-dessus de la fenêtre d'entrée; pourri là où la pluie le mouillait, à demi calciné pour le reste, je me rappelle que c'était un acte de bravoure que de le traverser. Une sorte de chemin initiatique, de passage obligé. Honte à celui qui n'osait pas accomplir ce rituel! Tout ça pour prouver son courage d'aller griller une gauloise blonde à l'étage.

Mais l'acte héroïque par excellence, le but ultime de l'exploration, là où la clope avait une saveur inégalée, était de grimper sur le toit plat du bâtiment le plus récent. Il n'avait aucun escalier pour l'atteindre, seul l'escalade et une certaine prise de risque permettait d'y accéder . Mes souvenirs sont confus, mais j'ai toujours en tête l'image de la cage d'ascenseur déglinguée, une fenêtre rouillée et depuis longtemps sans vitres, qu' il fallait  enjamber pour suivre un chéneau; au bout de celui-ci, près du vieux four à briques, massif comme la tour d'une forteresse -c'est ce que je croyait à l'époque-, il y avait une échelle de service, en métal rouillé, qui conduisait au point le plus élevé de la Poterie. Sur ce toit bétonné, couvert de lichens, où personne ne pouvait nous dénicher, on était les rois du monde.


Il est à Hennebont, d'autres sites qui ont enflammés mon imagination, me donnant à jamais le goût de l'exploration de proximité. Je suis convaincu qu'on part souvent chercher au loin, le plaisir de la découverte, mais la plupart du temps, surtout dans mon cas, ce kif n'est jamais bien loin, et toujours communal.

La vallée du Blavet recèle nombre de ces ruines mystérieuses qui feront penser à l'audacieux promeneur qui les découvre, qu'il s'est transporté à Angkor Vat ou dans la jungle du Yucatan. Mais c'est seulement en changeant de regard, en s'amusant à voir les choses avec les yeux de l'enfance que cette prouesse est possible. Si l'infini est dans l'éphémère, l'émerveillement est dans le quotidien.

Si vous remontez le Blavet en suivant le chemin de halage, après l'écluse de Polvern, vous remarquerez sur votre droite, un tunnel sombre et humide. Une fois franchi, vous entrez dans un vaste cirque envahi de végétations, une ancienne carrière. Mais à partir de là, où de nombreux chemins prennent naissance, je ne vous dirais plus rien. Sachez seulement qu'en cherchant avec l'oeil émerveillé, vous trouverez le quai d'une gare oublié, une falaise si dangereuse que, jadis, les commandos venaient s'y étalonner, des ruines énigmatiques que les troncs commencent à fissurer, une tour qui n'est pas un transfo, mais à n'en point douter, une vigie guettant les barbares remontant le fleuve. Il y a même dans une falaise ignorée des sentiers, une porte de métal dont personne ne sait ce qu'elle cache. Moi,j'ai ma petite idée: un soldat japonais s'y est réfugié, coupé du monde, mais le pauvre ignore encore que la Seconde Guerre Mondiale est terminée depuis soixante ans. J'aimerai aller le lui dire, mais j'ai peur qu'à son âge, la nouvelle soit fatale.

Si je n'ai jamais fait carrière dans l'exploration - ce n'est plus un métier de nos jours-, je n'ai jamais renoncer à trouver le trésor de Jo l'indien, et qui sait, j'aurai peut-être un jour le courage d'aller prévenir le vieux soldat nippon.

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2 juillet 2007

Le retour du Paon

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Immanquablement, lorsque je prends des vacances, la même question revient comme une rengaine dans la bouche des gens: »alors, tu pars où? ». Mieux, lorsque je reprends le travail, c'est toujours le même refrain: « alors, vous avez bougé? ».

Avec gêne, je reponds que non, je suis resté à Hennebont, arguant qu'avec les enfants, ce n'est pas facile, que j'avais besoin de me reposer, que mes finances ne me permettaient pas de voyager. Au fond de moi, je n'en suis pas convaincu, même si j'essaye d'en avoir l'air. Les gens acquièscent, faisant mine de comprendre, mais je sens bien qu'il n'en est rien. Il y a comme une déception: je n'ai rien a raconter, rien à décrire, aucunes anecdotes touristiques à mon actif, qu'un aveu casanier à mon passif.

Pendant longtemps, j'ai culpabilisé d'être ce sempiternel immobile à l'heure du tourisme de masse, lorsqu'à l'approche des vacances, l'agitation du départ salvateur gagne les travailleurs méritants. Je cherchais des raisons valables à ce manque profond, des justifications honorables qui me permettaient de répondre sans rougir: « Cette année finalement, je reste à Hennebont...... ».

Pourtant, je prends tous les ans des bonnes résolutions, en me jurant que cette fois-ci, pour de bon, je pars, je change d'air, en me convaincant que j'en ai besoin. Malheureusement, quand vient l'heure du repos annuel, du long week-end, ces voeux pieux se révèlent lettres mortes et ma volonté s'effondre.

Il faut donc me faire une raison et m'en prendre à ma propre personnalité, incorrigiblement casanière. Peut-être me dis-je pour me rassurer,que cela est dû à une résurgence atavique du caractère de mes ancêtres, paysans de Quistinic où de Caudan, qui n'avaient tout au long de leur vie que pour horizons lointains les clochers de Languidic ou de Bubry, les landes de Lanester. Je rêverais pourtant de parcourir le monde autrement que dans les minuscules d'un récit, en long et en large, par monts et par vaux, sur terre et mer. Mais c'est plus fort que moi, et je m'y résout encore une fois.... »Cette année finalement, je reste à Hennebont...... »

......A Hennebont!

C'est alors que la réponse à mon trouble existensiel m'apparût comme une évidence, je suis devant l'éternel, un voyageur de proximité! Et ce n'est pas une vue de l'esprit, je vous l'assure, car comme je vais tenter de vous l'expliquer, je suis maintenant persuadé que lorsqu'on habite à Hennebont, on n'a pas besoin de se déplacer pour connaître l'ivresse et la magie du voyage.


Je suis né à Hennebont en 1972, et hormis une courte période où j'ai vécu dans l'Eure-et-Loir jusqu'à mes 6 ans, j'y ai passé toute mon enfance. Ma vie d'adulte aussi.

Par le prisme de mes souvenirs d'enfant, j'ai aujourd'hui des bouffées de nostalgie, qui au cours de mes promenades actuelles, prennent invariablement les parfums et les couleurs du monde entier.

Mes plus beaux souvenirs d'enfance sont les vacances que je venais passer à Hennebont, lorsque justement, je n'y habitais pas. Je séjournais alors dans l'appartement de mes grands-parents, situé au rez-de-chaussée de l'une des tours de la cité Kennedy. Du salon, où il y a toujours une aussi belle vue sur le Parc de Kerbihan, j'écoutais sans m'en lasser les cris du paon qui régnait alors sur cet immense jardin public. Mon plus beau souvenir est un son, cette madeleine, le cri d'un oiseau venue d'Asie. Je me rappelle qu'il chantait surtout le soir, ou plutôt, que c'était à ce moment qu'on l'entendait le mieux. Dans la clarté silencieuse des soirs d'été, à une époque où peut-être il y avait moins de bruits, de voitures, de modernité, son cri résonnait sur les façades des immeubles, comme l'écho d'un monde lointain, exotique. Pour un enfant qui s'endormait en cette compagnie, il était aisé de voyager, d'emmener son imagination divaguer dans les forêts d'Inde ou de Chine.

Aujourd'hui encore, lorsque je me promène dans les allées du Parc, le fantôme du paon – je l'appelais « éon » comme le son de son cri- me visite et je me souviens combien Kerbihan me paraissait être alors une véritable jungle. Je m'y revoie comme un Mowgli hennebontais explorant les sombres bambouseraies qui bordaient les étangs et le ruisseau, les méandres du petit marécages ou l'île aux cygnes. J'explorais sans relâches le moindre de ses quatre coins, surtout la large pente que domine la butte de la Chapelle, qui descend dans le vallon, escarpée et couverte de buissons de lauriers. Parcouru de murets oubliés, de chemins à découvrir , il y avait même un escalier de pierre qui montait droit vers le plateau de la Prairie; il me semblait à l'époque comme un vestige d'une histoire à inventer, que j'inventais. Arrivé à son sommet, il me suffisait de me tourner pour me trouver face à la cime des grands arbres qui prenaient racines de l'autre coté de l'étang; il n'y avait pas de singes à habiter la canopée, ni de perroquets, mais quoi de plus simple que de se les imaginer. Se cacher était aisé, et encore plus drôle, faire semblant de se perdre, d'être un aventurier.

Si de nos jours, le parc me paraît moins mystérieux, il garde toujours pour moi, cette part de magie, ce charme venu de ses essences du monde entier, dont quelques étiquettes vertes survivantes, clouées sur leur tronc, rappellent l'origine: L'Amérique du nord, du sud, l'Afrique, l'Indochine...Le paon, bien sûr, n'est plus là, ni même la grande volière qui n'a pas survécu aux outrages de l'ouragan. Pourtant je ne désespère pas d'un jour qui verrait le retour d'un de ses majestueux oiseaux bleus, braillant sa fierté sur la cité, amenant le monde à ma porte.

Ce jour-là, je veux être à Hennebont. Surtout, si je suis en vacances.

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